En partance.
Elle fait toujours cela quand elle y va. Tout simplement, parce-qu'elle ne sait pas faire autrement. Elle arrive en tremblant. De terreurs et d'envies, à la fois. Elle parle, parle, parle à s'en couper le souffle. A leur couler le bec. A peine assise dans la voiture. Tout le trajet. Et encore après. Quelques soubresauts, sur les bancs en bois clair de la cuisine, sur la canapé bleu défoncé. Elle débaltère. Pour se donner consistance et assurance. Pour éviter les questions. Pour occuper l'espace. Colorer la bulle de l'illusion. Occuper le terrain des angoisses, ne leur laisser ni place ni espoir de s'installer en public. Un barrage de mots. Un flot quasi ininterrompu. Mais la marée montante des haus le coeur est hilare face à ces remparts de fortune. Elle le sait. Elle raconte cependant. Tout et n'importe quoi. Jusqu'à tarir la source et les souvenirs. Elle détaille. Répète aussi. Souvent, Il l'aide. Ressasse toujours les mêmes histoires sucrées quand de pesants silences s'installent. Elle s'enmêle les pinceaux dans ce tableau édulcoré, aseptisé. Masque le vide par l'élocution désordonnée. Mais joyeuse. Elle donne le change au vide, à l'absence. Elle n'ignore pas qu'ils ne sont pas dupes. Même s'ils ne repèrent pas toujours ses incohérences. Mais cela arrange tout le monde, finalement, cette acide et néanmoins digeste parodie de vie. Elle n'est qu'un creux de trop plein. Un trop plein qui ne ne nourrit que le vide. Sans fin ni but.
Quand elle n'aura plus la force de sourire. Quand elle sera épuisée d'une fatigue qu'elle ne peut leur expliquer. Celle de la dépression dissimulée, entre autre. De l'angoisse dévorante à l'approche des repas qu'elle ne pourra ni contrôler ni gérer ni limiter. Non pas pour donner raison à des relents de folie anorexique. Mais pour arrondir les angles qui vont la meurtrir, de toute façon. Elle prétextera le travail. Ira cacher son impuissance et ses faiblesses derrière une couverture rigide et glaçée. Sa rage de ne pas savoir pleurer dans leurs bras tendus. De ne rien pouvoir avouer. De méconnaître la simplicité. Et elle y bercera sa honte jusqu'à l'endormir sur le canapé. Quand elle aura bien jouer la comédie de la fille épanouie. A parler trop fort. Avec de grands gestes. Avec des taquineries pour son frère. Des éclats pour sa mère. Des séances de clairon qui amusent tant son père. Joué à celle qui a des envies. Et réclame. Cheminée. Tisane à la verveine du jardin. Qu'elle ne pourra avaler faute d'un estomac gonflé de tout ce qu'ils lui auront préparé et d'angoisses retenues. Bain bouillonant. Qu'elle ne pourra plus fuir malgré l'envie tant Il y tiendra. Pour ne pas froisser son plaisir. Elle ira. En fermant les yeux sur ce corps débordant et inerte imposé à ses yeux. Elle sortira vite. Et attendra dans ce peignoir qui n'est plus le sien. Trop grand. Dans cette pièce froide où elle fera hurler la radio pour se noyer en silence. Et reviendra des larmes sèches sur les joues. Invisibles. Reprendre le devant de la scène. Tout sourire. Elle leur aura fait plaisir. Simplement. Rien d'autre n'a d'importance. Les coups, elle les encaissera. Ceux là et d'autres. Les ecchymoses apparaîtront à l'ombre de sa solitude prochaine. Elle essuyera ses larmes entre ses draps. Avec ce poids en plus au
creux de son ventre. Celui de savoir qu'à deux pas de là. Cette fois. De véritables bras. Chauds et accueillants pourraient la serrer. Fort.
En l'en étouffer d'amour. De patience de l'attente récompensée. Leur impatience à la revoir qui l'effraie. L'incompréhension demeure. Elle n'est pas "aimable". Ils ne peuvent ni ne doivent l'aimer. Le manque qu'ils laissent aussi, reste. Rien ne s'efface. Pas même auprès d'eux. Et le lendemain. Petite voleuse. Elle grapillera encore quelques
douceurs par la ruse. Pour l'apaiser. Quelques minutes. Quelques
heures.
Quand son vide sera un poids. Quand cette comédie virera au drame en son for. Elle abusera de la carte de l'humour. Elle l'aiguisera. "Tu as été très sage ?! Alors fille fille est revenue" lancera-t-elle avec une petite voix aigue incitant à la moquerie bienveillante. Et Elle succombera. Elle le sait. Elle connaît les astuces pour prendre ce dont elle a besoin sans le réclamer. Sans imposer ses besoins. Elle ne sait faire que cela. Ignore les chemins pour énoncer les besoins profonds. S'en maudit, mais ne trouve pas d'autres voies. Alors, Elle la prendra dans ses bras en répondant à ses anêries qui la font cependant sourire. Et elle, elle étouffera ses larmes dans les bras de cette maman si chère. Elle n'a plus 24 ans. Petite fille. Mais 2. Ou plutôt 4. A l'aune de la conscience du manque et du besoin. A l'aube de la chute du château de cartes des illusions. A quelques années de là.