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(Tout) et n'importe quoi.
5 novembre 2011

Une cascade *

Anna Gaskell 1Je vis ma vie comme une to-do-list. A chaque trait tiré, la colonne s'agrandit. Brave petit soldat, sans un mot plus haut que l'autre, sans un geste hors des codes. Je n'ai qu'une obsession, elle enfle par le vide ou le plein. Rien n'apaise cette pensée, personne ne l'éloigne. Elle m'accompagne en permanence, elle trompe notre monde. Elle n'est jamais vaincue, ni même tenue à distance. Elle se sur-imprime sur les écrans de cinéma, au fond des verres, sur les interlignes des livres, s'invite dans les dialogues, dans les rêveries, colore les pavés de Paris... Il n'y a qu'elle. Encore et toujours. Comme mon ombre qui me précéderait.
La guerre est loin d'être la solution, mais il faut parfois mener bataille pour trouver la paix. Je l'ai cru. J'ai perdu. Je ne suis pas un bon soldat pour ma vie. Mais aujourd'hui je me moque des trophées. Plus encore de celui-ci. Je ne regrette même plus ma défaite. Comme la nuit tombe chaque soir, les armes que j'ai cru détenir tombent de mes mains. Je ne les regrette pas davantage. Je déplore seulement qu'elles ne finissent pas le saccage dans un mouvement contraire.
Je regarde le monde vivre, les gens rire ou pleurer, je donne de l'élan aux gorges déployées ou sèche des larmes, pose les pansements, entretiens la conversation, et je ne me surprends plus à déplorer ne pas savoir incarner ma propre vie comme ces âmes animées que je croise. Des âmes qui se débattent jusqu'au sang, qui crient, reculent, reprennent des forces, du courage, des envies, de la vie, qui choisissent, élissent, décident. Des âmes qui existent parce qu'elles vibrent entre les graves et les aigus. Ma gamme d'émotions tient du monochrome, à peine du frisson. Je ne suis pas davantage que le bruit du vent et je m'en contente. M'en réjouis peut-être. Je n'aime que les vagues qui se brisent sur les falaises roses de la Bretagne du Nord. Je ne cille pas, en reste à la platitude comme des veines vides des écoulements sanguins pulsés par des  battements réguliers. Tout s'écoule quand il s'agit de poser un "je". Mon coeur comme une plume d'oiseau.
Je vis ma vie comme une to-do-list, ni plus ni moins. Je ne crois même pas avoir une miette d'envie, au fond de mes poches, quand il s'agit de dresser mes lendemains. J'avance d'une aube à un crépuscule, d'un jour de bureau à un jour de lessive, d'un jour férié à un jour de promo. Le strict minimum et le summun de mes capacités. Je traverse les ans dans des agendas soigneusement garnis. Je ne cherche pas plus grand, plus doux, plus lumineux, plus sécurisant, plus maternant. Les heures à m'en croire de taille ont périclité dans les abysses de mes nuits blanches. Elles ont dévoré jusqu'aux bribes de souvenirs de mes projets d'enfance.
Je ne suis forte que dans la chute. Je donne tout ce qu'il faut à qui de droit. On ne m'en demande pas plus, on m'en demande toujours trop. Je rejoins le silence proportionnellement aux exigences que l'on me soumet. N'attendez pas de réactions de mes émotions maquillées pour masquer leur épicentre racorni. Je regarde le monde tourner, mes amis grandir, vieillir, construire, devenir, aimer, vouloir, enfanter... Je ne suis ni jalouse ni envieuse. J'implore seulement l'oubli et le silence des points d'interrogations. Entre les volutes de mes cigarettes, je ne formule plus aucun souhait aux étoiles, j'ai appris ma leçon. J'attends, et on ne peut rien me reprocher.


Je voyais les jours de l’année s’étaler devant moi, comme une succession de boîtes blanches, brillantes, et pour séparer chaque boîte de la suivante, il y avait comme une ombre noire, le sommeil… Malheureusement pour moi, la longue zone d’ombre qui séparait les boîtes les unes des autres avait disparu, et je voyais chaque jour briller devant moi une sorte de large route blanche, désertique. Il me semblait idiot de laver un jour ce qu’il faudrait relaver le lendemain. J’étais fatiguée, rien que d’y penser. Je voulais faire les choses une fois pour toutes et en finir avec elles pour de bon. Sylvia Plath - La cloche de détresse


Photo : Anna Gaskell
* : une cascade de déchirures invisibles - Boris Cyrulnik
Musique : L'obsession

Humeur : Indicible

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Commentaires
A
Parfois envie de répondre que,, et là .; et là aussi. Et puis rien. Parce que ces to do list, c'est comme une évidence. Elles rejoignent d'autres mots, d'autres choses. En correspondance. Se demander parfois si tous les paravents tombaient, le smurs derrière lesquels on s'abritent, les mots qu'on attend de nous, les réactions..les pensées. Ces cages qui nous enserrent, ces conversations continuées pour rien; entendre sa propre voix dans le téléphone qui débite les mots par dizaine.ce qu'on attend. Cette to do liste là: le role que l'on doit jouer.Dans sa tête en même temps il n y a que le silence et cette petite voix qui souffle: sujet 1 abordé, sujet 2, c'est fait; une question balle à l'autre, je reprend la main... Et au final ne plus arriver à rien: se terrer derrière une surface qui demande de l'énergie à entretenir. une belle surface polie. on raccroche le combiné. Et il ya le vide, le goût terreux en bouche. Terrée à l'intérieur on voit sa propre vie couler doucement. de loin, très loin. Impossible de faire un mouvement sous la surface. Et on laisse les pages désespérement blanches. réelles ou virtuelle. A se dissoudre dans tant blancheur et de silence.
A
Tu as raison. Mais essayer de te le rappeler pourra peut-être un jour qui sait te faire toucher du doigt le fait que tu existes bel et bien aux yeux de ceux qui t'aiment. Et donc à tes yeux. Le chemin est pris peut-être à l'envers mais l'essentiel est qu'il soit pris.<br /> TC
A
Il est parfois "délicat" d'avoir une place, une telle place aux yeux des autres, quand on n'existe pas, ou pas à ses propres yeux.
A
J'aime ta to-do-list autant que je la déteste.<br /> Parce que tes silences veulent dire plus de choses que tu ne peux l'imaginer.<br /> Parce que l'importance de qui tu es atteint des sommets que tu ne soupçonnes pas. Les questions que l'on te pose ont déserté les conversations, de peur de te blesser. De peur que cet intérêt n'ait pas de sens à tes yeux - alors qu'il en a un. Mais elles sont toujours là. Ta vie et tes envies, ta to-do-list et le reste ont un intérêt dans la mienne. Une oreille attentive à tes galères comme tes rires.<br /> <br /> Joe D. chantait :<br /> <br /> "Et si tu n'existais pas, dis moi pourquoi j'existerai.<br /> Pour traîner dans un monde sans toi,<br /> Sans espoir et sans regrets.<br /> <br /> [...]<br /> <br /> Et si tu n'existais pas,<br /> Je ne serais qu'un point de plus<br /> Dans ce monde qui vient et qui va,<br /> Je me sentirais perdu,<br /> J'aurais besoin de toi."<br /> <br /> Pour tes sourires, tes coups de gueule, ta vie, la notre, tes blagues, ta tristesse, tes anecdotes. Pour toi.
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