Fièvre.
Fiévreuse. Ou emmerdeuse. Je saute de partout. Ne tiens pas en place. Tourne en rond. Me cogne à ma solitude débordante comme à mes meubles de location. A mes silences. Alors que je me gave des mots des autres. De mots pour les autres. Je ne recrache que du silence. Celui qui remplit mes poumons. Chasse l'air.
Fiévreuse. Je suis l'enfant qui crie en jouant. Qui monte les remparts de son monde par l'affirmation de sa présence. Dessine les limites et les portes d'entrée, des arc en ciel de mensonges et de chimères si naïves et si désespérées, pour mieux s'effacer. Je suis l'enfant qui tire sur les manches des adultes en pleine discussion, sérieux et si lointains. Qui réclame et ne sait pas ce qu'il veut. Je ris, chante, ondule. Tournoie et cours. Je cours après quelque chose dont j'ignore la nature. Pour faire sortir quelque chose dont j'ignore la nature. L'apaiser, le distraire. L'oublier. Pour m'en débarrasser autant que pour m'en remplir. J'élève des cathédrales de silence et de vide.
Fiévreuse. Excitée. A vif, à cran. Je ne dors plus. Ne fais pas tellement grand chose d'autre que tuer et rattraper le temps. Comme tendue et en transe. En perpétuel mouvement, défoulement intempestif et désordonné. Le besoin d'user ce quelque chose d'inidentifiable me tient. Me fait valser d'une rive à l'autre. Me réveille la nuit, quand finalement le corps a cédé. Je n'entends plus la mélodie du calme. Et cache mes larmes qui ne sont plus que des soubresauts, des spasmes, sans écoulement, dans l'ombre d'une pièce sans fenêtre. Lentement je suffoque. Un poids sur la cage thoracique. Une douleur zèbre le muscle cardiaque. Mes jambes tremblent, ne me tiennent plus. Et pourtant je cours partout dans Paris. Pour oublier ce qui fuit devant moi. Devant mes bras tendus.
Fiévreuse, comme ceux qui s'énervent sans raison apparente. Mais parce que cela bouillonne en dedans, derrière le masque de la constance, de la tempérance. Des brûlures sans nom mais qui exigent l'accalmie. La prise en considération. Le soin. Comme ces gens qui brassent de l'air et des sourires, des mots et des caresses sur les joues de ceux qu'ils ennuient à trop bavasser et à vouloir consoler, faire rire. Comme ces gens qui ne sont pas méchants, au fond. Juste si peu à leur place qu'ils en font plus que de raison pour expliquer, excuser leur présence. Juste si peu d'ici. Et qui tiennent bon, le masque, les dents serrées. Comme ceux qui savent lire les signes au creux de leurs poings fermés. Ces signes qui ne trompent pas. Trahissent. Qui savent que la chute pointe dans le sillage des signes qui n'ont rien du hasard. Qu'il faudra, après elle, et ce, quelque soit son numéro dans la liste et l'intensité de cette destitution de l'équilibre premier, se relever. Une fois encore. Et avancer. Jusqu'à la prochaine mise à terre. En terre. Pour l'instant, tout n'est que signes. Ils ont dépassé le stade avant-coureur. Et prémices. Pour le moment, la chute. Ensuite, peut-être, le regard sur l'horizon qui se moque des luttes et toujours recule tel l'écho d'un appel. Comme ces gens qui s'évertuent à détourner le regard de ce qu'ils sentent naître sous leur peau, je cours. Fiévreuse.
Les songes ont des âmes que l'on trouve égarés
Au creux de nos têtes le visage masqué
Au creux de ma tête ils sont lourds à porter
Mes songes font de moi une tête penchée
Dans l'au-delà
Faut-il aller se noyer ?
Il y a dans mes songes un visage inconnu
A la tête ronde, triste comme un pendu
Dis-moi qui es-tu et ce que tu as vu
Et si tu ne veux rien dire alors, laisse-moi dormir
Dans l'au-delà
Faut-il aller se noyer ?
Songes - Emily Loizeau
Pix By Rachel des Bois.