"Pardonne-moi"
Elle m'a frappée. Violemment. Par derrière. Une traîtrise. Sans appel. Une chanson est venue violemment me rappeler ce que je n'ai pas oublié.
Je
n'aurais pas pensé à ce morceau là pour évoquer ces deux années là. Je
ne l'ai pas choisi. Lui si, aidé du hasard, du déroulement nocturne de
l'Ipod. Aux premières notes, des frissons m'ont parcouru. Perdue sous
une couette, dans un lit qui n'est pas le mien., j'ai senti mon corps se raidir. Une contraction des tripes qui gagne chaque membre, ankylose chaque membre. J'ai tout revu, revécu,
ressenti comme à l'époque. Rien n'a pu arrêter le déferlement des souvenirs encore trop frais, finalement. Rien n'a pu couper court aux tressaillements de la mémoire, de la peau. Ni les yeux fermés ni
ouverts ni inondés. Une claque terrible.
Je me suis revue, là, dans
la pénombre du studio aux trois petites fenêtres. Ces pièces sous le soleil du sud dans lesquelles la chair de poule ne m'a jamais quittée. Je me suis revue dans ce lit inconfortable qui n'était déjà pas le mien.
Alitée, pas par paresse ni même par choix. Seulement par incapacité à
me lever. Parfois j'écoutais cette chanson "Pardonne-moi". Usée, en sursis. Respirant avec peine, les yeux à peine ouverts. Des nuits d'insomnies ou de cauchemars. Des journées mortes, tant dans les actes que par la projection de pensées ternes. Je m'accrochais à un
très court couplet de cette chanson. Je revois mon bras se tendre avec une lenteur maladive vers le poste CD. Mes doigts cherchant le bouton rond 'suivant'. Le morceau démarre. La tachycardie augmente, résultat d'un mouvement. Un de trop.
Les images m'ont bombardé, sans relâche. 4'30 peuvent être longues. Mon corps a vibré des
mêmes tremblements d'alors. Mon regard, à huit ans d'écart, parcourt
les trois pièces. La chambre. Sombre, dénudée. Sanctuaire de mes forces manquantes. La salle de bain, l'exiguïté de la douche, au fond de ce réduit. Je me collais sous la douche en priant pour que le froid s'arrête. Le petit miroir, fuit, provoqué. Les tics, les combats, les mauvaises habitudes restées depuis, le rectangle blanc au sol comme une estrade sur laquelle je me hissais. La porte à loquet de la sous-pente où je rangeais les conserves qu'elle me faisait avec tant d'amour. La cuisine. Le lino sur lequel j'ai rampé, sur lequel je me suis enroulée, en larmes, des nuits entières. La grandeur de la pièce. Le recoin pour cuisiner que j'ai si peu utilisé. Les invités d'un soir, convié pour vider les placards et frigo remplis par d'autres, par mes parents. Puis les
escaliers, terribles. Il me fallait stopper parfois mon ascension. Pour ne pas tomber à la renverse, atteindre la porte verrouillée. L'espace sous la porte, paradis des odeurs de cuisine d'en-bas. Je les fuyais. Le pâle jardin. J'y ai révisé mes examens, pris des photos de la chute qui aujourd'hui encore me sont chères. Plus loin la route vers l'université.
Le site de la fac, lui-même et ses divers bâtiments. Les amphi où je pleurais de douleurs sur ces bancs de bois. Où j'ai pris des tocs, vérifié l'espace grandissant entre mes cuisses. La bibliothèque, mon refuge contre les resto U où d'autres allaient. La salle informatique, la connexion Internet et le forum... Le studio, encore. Toujours. Sans relâche. Mille images, en flash incessants, usants. 4'30.
Larmes alors. Larmes encore. C'est idiot, j'en tremble encore.
Photo : Mylène Farmer - clip XXL
Musique : le silence
Humeur : perturbée