Je ne suis pas de taille.
Elles dansent comme des centaines d'étincelles. Des petites lumières aux éclats diffractés dans les cristaux de mes larmes. Je ne cesse de réfléchir sur le sens de la vie. Ce soir, comme si souvent, je ne me sens pas de taille. Quel sens a la vie ? Quel sens a ma vie ? Je regarde des séries de minettes qui me mettent des claques à toutes les phrases, ou presque. Je ne comprends pas. C'est à peine si je saisis l'ensemble de tout cela. Qui attend quoi de moi ? "Qui" est un personnage omniscient aux pouvoirs éthérés et immenses. Une entité. Je ne sais pas, et cela m'obsède. Il y aura tant à faire sur cette terre, tant de combats, d'être à aimer que cela me désarme. Je me sens flouée. Petite, si petite et insignifiante. Je vois pas dans quelle direction aller et je reste là, à pleurer. Dans le silence ou devant ma télé parce qu'un épisode me fout des torgnoles plus douloureuses et honteuses que celles de mon père, autrefois.
J'ai l'impression de réaliser trop de choses à la fois, sans pouvoir retenir entre mes doigts quoique se soit. Je ne trouve pas ma place. Celle que je tente de tenir depuis des années, prise dans les carcans de ce que je crois être bien, bon, n'est peut-être pas la mienne. Pas la mienne parce qu'incomplète.On m'a dit un jour que je ne pouvais faire le bonheur des miens sans être heureuse. Que je ne peux aimer les autres sans m'aimer. Un peu au moins, en me respectant à minima, peut-être. Une connaissance s'est vue dire un jour par son petit ami, quelle devait apprendre à être heureuse sans lui, quand il n'était pas là. Jane dit encore que nous ne devrions pas avoir le droit de compter sur les autres pour nous sentir vivant, que c'est l'affaire de chacun. Soit. Ca je le comprends bien. Les enjeux tacites aussi. Mais comment fait-on ? Tout ne se passe pas comme dans les fictions. Et j'ai peur de la prétention. Aucune envie de me suffire de mon reflet.
Et j'ai tellement d'envies. Si peu de forces, de cran, de savoirs. Je voudrais parfois redevenir enfant pour me laisser consoler de ces bras que je désire autant que je les repousse. Autant que je dissimule mes élans. Pire, mes besoins.
J'ai presque honte de mes éveils, de mes souhaits. Ils sont trop tardifs. Auraient dû venir il y a dix ans au moins. A cette époque là, plus qu'aujourd'hui, j'étais préoccupée par autre chose, de bien moins noble finalement. Mais qui a toujours été et sera toujours la seule qui ne m'abandonnera pas. Je critiquais la seule possible naissance de ces souhaits, jugés vils, bas, banals. J'ai gâché ma vie. De mes 26 ans d'existence, dix à peine, en valait la peine. Cette tendre enfance dont je peine à me souvenir. Aujourd'hui, j'ai perdu trop de temps. Une sourde révolte gronde et se fait rabattre le caquet par une vérité : il est trop tard, le temps ne se rattrape pas. J'ai gâché mes plus belles années sur les bancs d'une folie indélogeable. C'est de là encore que je tire mes conclusions. Je voudrais courir et crier, tout recommencer, faire mieux à présent. Mais je suis paralysée. Je suis en train de gâcher les années que l'on dit les plus épanouissantes pour une femme. Je ne bouge pas, je ne sais pas par où partir. Alors je me recroqueville dans cette hérésie apaisante et aveuglante, ce désir de coller ma peau à mes os. Je veux trop en faire. Trop bien faire. Les douleurs du monde me soulèvent, et je retombe. Impuissante. J'en reviens toujours au même constat.
J'ai le syndrome du cœur brisé, m'a-t-on dit un jour. Cette sensation terrible et physiquement douloureuse : celui de mon cœur qui se serre, bat à tout rompre, puis se brise. Tout me touche beaucoup trop. A défaut d'être efficace, je ne peux que prier, pour les uns, pour les autres. Envoyer mes pensées aux quatre coins de la France. Espérer. Je reste là à expectorer en silence l'injustice des faits, des contre-coups du bonheur annoncé, des guerres ouvertes, des combats imposés. Je reste là, jour et nuit, à prier, encore, un Dieu auquel je ne suis pas sûre de croire. Je crois en l'Homme. Je crois en l'espoir. Je crois au droit d'une vie paisible et heureuse après tant de violence et d'orages. Pour tant d'êtres, et je m'insurge dans la souffrance de voir leurs droits ravis. Alors oui, je supplie qui de droit. Et je m'enroule dans le silence.
Et je ne sais pas si je prierai un jour pour moi. Il y a une contradiction absolue dans mes ardeurs à vouloir être là pour autrui, à me rendre utile et celles de vouloir me renfermer, m'assécher et m'envoler telles des poussières.
Tout est tellement confus. Je suis perdue. Je ne trouve pas ma place tant mon cœur me lance d'injonctions, d'exhortations. Et le temps passe... Le temps que je perds. Je ne suis pas de tailler à le faire fructifier, à le laisser ridée ma peau pendant que j'œuvrerai à la beauté.
Photo : Felilly
Musique : BO Dawson Creek
Humeur : Errante