Une phrase.
L'air de rien. Puisque ce n'est rien. Quelques mots alignés, tout au plus. Une construction avec un sens. Une intention. Une émotion. Ou un message. Et encore... L'expression d'un sentiment, parfois. Et ici, une volée bénigne. Ourlée d'un sourire simple, élégant. Sans conséquences. Sans être appuyé. Elle retourne à sa tâche. Sa petite phrase anodine énoncée. Elle ne se doute de rien. Elle n'a fait que parler. Dire sur l'instant son sentiment. Sans plus de réflexion ni même de volonté. Mais elle a gravé son paraphe, avant le silence, dans ma mémoire. Un peu sur ma peau, aussi. Juste sur la touche de la répétition, le doigt enfoncé. Comme au cœur de ce qui blesse et met à mal. Aphone. Inoffensive obsession de la réitération. Et valse les mots liés par la signification désirée et donnée par ses soins. "Cela me fait plaisir de te voir manger." Une phrase au creux des mains. Qui passe et repasse sur mes lèvres closes. Je n'ai pas répondu. Rien. Juste le silence des claviers et des conversations téléphoniques. Les minutes qui s'enchaînent. Et le monologue inaudible de mes pensées. De mes réponses plausibles mais non divulguées. Inavouables justifications pour ces quelques coups de dents du bout des lèvres réfractaires. Elle pense déjà à autre chose. Et ne soupçonne rien du trouble jeté par ces noms communs et autres verbes. Elle sous-estime l'importance de son interjection. Comme de leurs gestes, regards et actes à quelques minutes de là. Et moi. Je glisse et m'écorche. A l'écoute incessante de ces mots. Parce que je ne sais pas quoi en faire. Ni en penser. De son affirmation. Alors que je ne devrais même pas les avoir retenu. J'ignore même ce que cela déclenche. En dehors de ce malaise et de cet embarras. Ces mots sur les bras. Sur le cœur et l'estomac. D'autres mots bien rangés reviennent danser dans mon esprit. "Je ne comprends pas pourquoi tu mises autant de ta personne sur la question de ton poids." Oui. Pourquoi ? Mais enfin, pourquoi. Je ne saurais même pas me le murmurer. Car j'en méconnais les prémices même. Trop de mots pour trop peu d'espaces. D'air. Le tournis gagne. Ou seraient-ce déjà les bulles de champagne qui m'invitent à cette valse ? Les trois coups dans le ventre derrière le rideau de mon sourire. Je ne suis plus là. Pour quelques mots.
By Elifkarakoc.