34
Sortir. Sous le soleil. Marcher et se fuir sous le prétexte de travailler. Il y a des photographies à faire, aussi. S'échouer dans les magasins pour s'étourdir de la musique trop forte, des commentaires de minettes, du va et vient des vendeurs, des couleurs et motifs des vêtements que je ne mettrai jamais. Fureter, toiser, s'emparer des cintres, comme ça, juste pour essayer et tuer le temps. Patienter dans la file. Pénétrer dans le réduit aux miroirs. Et vouloir tout casser. En hurlant. Il y a des reflets assassins. Être consciente qu'il faudra plus de miroirs chez soi. Pour voir ce que j'oublie parfois à grand renfort de chiffres bienveillants quelques matins. Ces matins où je me dis que ça va aller aujourd'hui, ces matins à la baisse. Aimer la perte au-delà de tout, et s'en galvaniser au point d'omettre tout ce qu'il reste à ôter. Et là, j'ai vu. Et je ne veux plus oublier. Cesser d'être faible, même s'il y a souvent compensation et punition. Dans ce réduit à la lumière flatteuse, étudiée, j'ai vu comme un cauchemar vous saute à la gorge. Alors dans ce réduit de renvois miroitants, j'ai fermé les yeux. Puis, rhabillée, j'ai longtemps tourné devant ces trois grandes glaces. Sous toutes les coutures dans ces vêtements fleurant le neuf, j'ai détaillé tout ce que l'on voit de moi, sous tous les angles. Et j'ai fermé les yeux pour ne pas salir de mascara les vêtements que je ne porterai pas. Rentrer chez soi en traînant des pieds. Un sac à la main qui tape en mesure contre la cuisse honnie. En tête la promesse d'une autre silhouette. Marcher, au soleil. Pour redessiner d'autres traits. Ceux que je me refusais à approcher par crainte du fossé. Mais ce corps là m'effraie bien davantage que la chute. Marcher, m'étourdir, m'oublier, me réinventer. Poser ses sacs, retirer les étiquettes des emplettes. Lire "34". Penser "trop", bien que j'y rentre sans effort. Dans une petite taille, eh oui, une petite taille. C'est bien de cela dont il s'agit dans l'autre partie du monde que j'ai déserté il y a dix ans. Dans celui d'une vie débarrassée de ces questions là. Être chez soi, enfin, au calme et totalement perdue. Et ne savoir qu'en rester là : ne plus oublier, et se retrouver, un peu plus bas.
Musique : Jean-Louis Murat.
Photo :
Dusty emotions By Felilly
Humeur : Errante