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(Tout) et n'importe quoi.
21 janvier 2007

Montparnasse.

On n'échappe à rien, pas même à ses fuites.
Jean-Jacques Goldman, tiré de On ira.

 

La porte à peine franchie, une nuit opaque s'est abatue sur elle. Et à toutes jambes. Rue des Favorites. Rue du Docteur Roux. Elle a tourné trop tôt, poussé par les démons de l'obscurité que lui soufflent l'enfance. Son sac lui lacère l'épaule. Et ces genoux et ses talons flagellent. A chaque pas, menacent de rompre l'élan. Elle ne ralentit pas pour autant. Rue du Cotentin. Le parcours habituel des errances dominicales lui apparaît plus incertain. Elle empreinte la rue de l'Armorique. Même si cela la retarde un peu, qu'importe. De toute façon, personne ne l'attend. Elle voulait juste revoir sa fenêtre. Eteinte, certes. Comme depuis 10 ans, les scintillements de sa présence. Défilent les souvenirs sur le noir écran d'une nuit de janvier. Les flashs colorés du Boulevard Pasteur la tire de son affaissement émotionnel. Les enseignes y clignotent à coeur joie, pour le seul plaisir de la muette Tour Montparnasse.
Dans sa furie, elle manque de s'empaler sur un parking à vélo. Ceux qui ont tant de fois rattrapés ses chutes et contenues les heures perdues en des rendez-vous repoussés, annulés. Son cri n'a réveillé personne. De la vie ne subsiste que la buée sur les vitres d'un bar et d'un restaurant. Depuis peu désertés apparemment. Et de sa présence qu'un volubile nuage de vapeur. Au pas suivant, elle a disparu.
Dans la gare, des couples se réchauffent. Un homme accoudé à un pilone en béton souffle sur les doigts. Depuis un mois, le froid n'épargne aucun recoin de la capitale. Un centimètre de peau qui dépasserait serait rougit dans la minute. Mordu par le froid. Elle a calme son allure. Sa respiration aussi. Remets en ordre sa rousse tignasse. Et remonte son baluchon. Elle observe ces vies au ralentit du coin de l'oeil. Et tire un trait.
Un agent de la SNCF déboule à ce moment. Sur un chariot vide. Et impose bruyamment son passage. Il masque la destination du train annoncé au même moment. Elle ne saisit que "va entrer en gare voie 5". Un petit groupe hétéroclite a déjà pris cette direction. Entre les enfants endormis et les valises, les cheveux grisonnants et les baggys déchirés, aucun visage connu. La destination finale du convoi ne l'intéresse guère. Elle aurait pu demander chercher à savoir. Le dessein n'est pas là, au bout du compte.
Elle se contentera d'un aller simple en toute illégalité. En deuxième classe, cela va sans dire.
Une fois la foule assise, elle a trouvé un compartiment libre. En cette heure tardive, peu de voyageurs. Elle referme soigneusement les rideaux. Enclenche le chauffage et éteins la lumière blafarde. Puis se risque à mettre les pieds sur le siège qui lui fait face. Un tant soit peu gênée de sa nonchalante fraude. Et elle s'endort. Sans but. Ni destination. Sans rêve. Seulement sa fuite effective.

Elle avait souvent fait ce rêve. Ce plan. Les yeux ouverts. Comme des ses songes baignés de sueur. Devant l'écran géant du cinéma des Halles, aussi. Superpositions maladroites d'images et de sons à travers ses yeux humides. De chutes et d'exils. Elle ne projetait rien d'autres qu'en catimini, son retrait. Pas tellement un choix, mais uen solution de recours. Une folle échappée. En désespoir de cause et de remèdes. Les yeux mouillés et le corps tremblant. Le possible ailleurs. La tentation. La folie, aussi. La porte à pousser. Là. Dans le noir, alors que tout le monde regarde ailleurs et qu'une main sur sa cuisse ne la retient. Comme à la lumière du mois de juillet, personne ne verrait rien. Elle était invisible.
Elle gisait ce soir là. Etendue sur son lit. Le voisin avait à peine terminé ses gammes de guitare sèche. Et à l'autre bout du studio, le second mâle de l'étage semblait être venu à bout de sa tuyauterie. Le silence emplissait les appartements. Le couloir de l'immeuble. Et la rue, en ce dimanche soir, n'était pas animée. Elle ne sentait que les bruissements de sa respiration sous les draps. En nage. Elle flottait. Les heures n'avaient plus de saveurs. A contretemps. A contre-courant. Lentement, ses jambes tanguaient. Entre agacement et lassitude. Son esprit, lui voguait. Loin. En Bretagne. Sur les rivages qu'elle avait arpenté toute une nuit. Autrefois. Et ses yeux reconstituaient d'autres paysages sur son blanc plafond. Ses morceaux de musique favoris inondaient ses pensées. Et puis, les assauts des angoisses. Encore. Et la voilà assommée. Perdue. Noyée.
Et puis. Elle a sauté de son lit. Enfilé son jean trop large. Son col roulé noir à gros boutons. Ses bottes de sept lieues. A fourré dans son sac une pochette de photographies élimées, une bouteille d'Hépar, un cahier vierge et une armée de stylo. Ses lettres enrubannées. Un choix de livres cornés par les lectures multiples. Son mp3 avec le chargeur. A déposé son téléphone portable sur la table basse. A tourné le robinet du gaz, de l'eau. Et a refermé les deux verrous de la porte. Glissé le trousseau de clés dans sa boîte aux lettres. Et a plongé dans la nuit.
Elle avait souvent fait ce rêve fou. De tout plaquer. De partir, sans destination autre que le souvenir breton. Ou l'illustre inconnu. De tout laisser derrière elle. Sans donner ni adresse ni indice. Être injoignable. Introuvable. Disparue aux yeux de tous comme aux siens. Plus qu'une fuite, une tentative ultime. Voir ailleurs comme tourne la vie. Avec d'autres paysages, d'autres gens, d'autres bras autour d'elle. Sans passé ni poids. Sans elle. Devenir une autre. Débarquer sur un quai comme dans une autre vie. Un autre corps. Ou. Comme pour se retrouver plus loin. Plus vraie. Elle.


On ne fuit jamais assez loin et on ne se fuit jamais assez longtemps!
Car toujours vous rejoint l'inadmissible.
Victor Lévy Beaulieu, tiré de L'héritage.


rer

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Commentaires
A
Tu as raison. C'es de ma faute, j'en ai parlé. Juste que le texte, à la base, n'a pas de lien avec cela. Rien de grave.<br /> Désolée.
A
Ah oki pardon, c'est pcq tu en parlais dans ton commentaire précédent, j'ai dû mal comprendre :s
A
... il n'est pas question ici de la maladie...
A
Renaître à soi peut se faire sans pour autant se fuir !<br /> En tous cas ce fut le cas pour moi...<br /> Ce n'est pas toi que tu dois fuir, c'est l'anorexie que tu dois faire fuir.
A
Je ne sais pas. C'est quelque chose qui m'a toujours donné envie, interpellé. Tout plaquer. Se fuir, s'abandonner pour renaître à soi plus loin. Peut-être aussi que c'est ma vision des choses, à cause de la maladie et que cela contamine tout. Perdre la part anorexique, et donc tout ce que l'on croyait vrai quand on était prises dans la tourmente de la voix de la maladie. Tout renier de soi pour renaître à soi...<br /> Je ne sais pas.<br /> Trop fatiguée, neurones out.
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